Le
projet A.I. est né de l'intérêt passionné de
Stanley Kubrick pour tout ce qui touchait à l'intelligence artificielle.
Ami de longue date du réalisateur de 2001 et ORANGE MÉCANIQUE,
Steven Spielberg entretint durant plusieurs années une relation
privilégiée avec celui-ci, qui l'amena à prende le
relais bien avant sa disparition.
Steven Spielberg
:
"Durant les années quatre-vingt, Stanley m'avait confié
une histoire superbe et inoubliable. J'avais hâte qu'il la porte
à l'écran tant elle était un mariage parfait d'humanité
et de réflexion scientifique. Ce sont les mêmes raisons qui
m'ont poussé à la reaconter aujourd'hui, pour lui."
"Steven a voulu rendre hommage à Kubrick et mener à
terme son ultime projet, explique Kathleen Kennedy, productrice d'A.I.
et associée de longue date de Spielberg. Il a pris pour base la
contribution initiale de Stanley et y ajouté la sienne propre.
La sensibilité de Steven imprègne le film de bout en bout,
mais le substrat est du pur Kubrick."
"A.I., ajoute le producteur exécutif Jan Harlan, proche parent
et associé de Kubrick, témoigne d'une nouvelle forme de
romantisme. L'idée qu'un humain puisse s'éprendre d'une
créature artificielle, n'avait jamais été explorée
à l'écran de cette façon."
L'intrigue de A.I. se déroule dans un futur indéterminé
où les naissances sont sévèrement contingentées
par la loi.
Jan Harlan :
"Les circonstances et l'environnement ont changé, la technologie
a accompli de tels progrès que la plupart des tâches quotidiennes
sont désormais assurées par des robots. La tentation est
donc grande de programmer un enfant robot pour le rendre capable d'aimer."
Haley Joel Osment interprète David, le premier prototype de "robot"
sensible, adopté par Henry et Monica Swinton (Sam Robards et Frances
O'Connor) après que leur jeune fils, Martin (Jake Thomas), gravement
malade, a été cryogénisé dans l'attente d'un
hypothétique traitement.
Frances O'Connor
:
"David est le nec plus ultra en matière de développement
mécanique. Contrairement aux modèles antérieurs,
il peut absorber des informations et des images, les collationner, les
interpréter de façon quasi humaine. Et il ne tarde pas à
s'interroger sur son rôle dans cet univers et sur ce qui le distingue
des humains."
Jude Law (STALINGRAD, LE TALENTUEUX MR. RIPLEY) tient le rôle vedette
de Gigolo Joe, qui sert d'"éclaireur" à David
dans la partie centrale du film et cherche lui aussi sa place dans le
monde étrange qui les a tous deux créés.
Jude Law :
"L'humanité, dans A.I., a progressivement confié aux
machines intelligentes les tâches les plus simples. Ces 'mécas'
(mécaniques) perfectionnées au fil des ans, se voient attribuer
des fonctions de plus en plus pointues et sophistiquées. Elles
remplacent les amuseurs du petit écran, elles font office de masseur,
elles peuvent aussi vous donner du plaisir. C'est à cette fin particulière
que Joe a été fabriqué. C'est un représentant
masculin de 'sex méca'.
Haley Joel Osment
:
"Joe a entre cinq et dix ans lorsque David fait sa connaissance et
s'attache à lui. Cette amitié transforme le gigolo et l'humanise
à mesure que David devient lui-même plus humain."
Mais David et son ami découvrent vite que la société
n'est guère disposée à les assimiler.
Kathleen Kennedy
:
"Les gens éprouvent un malaise croissant face à ces
robots parfois trop humains. Ce rejet peut prendre des formes extrêmes
: abandon ou sacrifice pur et simple."
Jude Law :
"Un des messages du film est que nous autres humains devont être
extrêmement prudents lorsque nous fabriquons de l'intelligence artificielle.
Ces machines ont toutes les chances de nous survivre, et celles qui n'ont
pas été conçues avec amour risquent fort de faire
des dégâts."
"A.I. est l'histoire d'un jeune robot qui a été programmé
pour aimer, complète la productrice Bonnie Curtis, coproductrice
d'AMISTAD et IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN. Mais à la fin du film,
nous ne voyons plus seulement en lui un robot. L'humain et la machine
se sont rejoints. C'est le triomhe de l'intelligence artificielle. C'est
notre avenir."
LE DÉVELOPPEMENT
D'A.I.
L'intelligence
artificielle est à la fois une réalité technique,
un vaste champ de recherche et un matériau fictionnel extraordinairement
riche. Les machines intelligentes savent déjà nous préparer
un café, conduire une rame de métro, surfer sur le web et
rendre quantité de services. Mais les chercheurs d'A.I. en attendent
encore plus : une simulation parfaite des comportements, émotions
et sentiments humains.
Le grand romancier de SF Brian Aldiss écrivit la nouvelle "Supertoys
Last All Summer Long" il y a une trentaine d'années. Publiée
par Harper's Bazaar en 1969, elle évoquait un proche avenir où
un enfant robot tentait d'établir le contact avec sa mère
humaine.
Stanley Kubrick acheta les droits de ce récit quelque dix ans plus
tard et s'efforça durant les vingt années suivantes de le
porter à l'écran. Au cours de cette période, il consulta
fréquemment Steven Spielberg, avec qui il entretenait des liens
amicaux depuis 1979, date du tournage des séquences anglaises des
AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE. La rareté de leurs face-à-face
fut abondamment compensée par de longs et fréquents échanges
téléphoniques.
Steven Spielberg
:
"On s'appelait le plus souvent pour prendre des nouvelles l'un de
l'autre, savoir ce qui se passait, etc. Nous nous sommes peut-être
vus une douzaine de fois durant ces vingt années, mais un jour,
au beau milieu d'une conversation, Stanley me dit : "En fait, c'est
toi qui devrais réaliser A.I. avec moi comme producteur."
Et il rédigea sur le champ le premier carton de générique
: "Une Production Stanley Kubrick. Un film de Steven Spielberg."
Surpris de cette offre sans précédent, Steven Spielberg
demanda à Kubrick pourquoi il souhaitait lui passer le flambeau
sur ce projet auquel il était depuis si longtemps attaché.
Steven Spielberg
:
"J'étais sous le choc ! "Mais pourquoi fais-tu cela,
Stanley ?", lui ai-je demandé. Et lui me répondit simplement
: "Je pense que ce film est plus proche de ta sensibilité
que de la mienne"."
Le producteur exécutif Jan Harlan a collaboré pendant trente
ans avec son beau-frère Stanley Kubrick sur bien des projets, de
BARRY LINDON à A.I.
Jan Harlan :
Stanley cherchait toujours à défricher de nouveaux territoires,
à élargir les frontières de l'art cinématographique.
2001 est la parfaite illustration de cette curiosité, au même
titre qu'EYES WIDE SHUT que Stanley pensait originellement tourner
après A.I."
Sitôt après avoir reçu cette proposition, Spielberg
rejoignit Kubrick en Angleterre et découvrit les milliers de planches
réalisées à sa demande par l'illustrateur de comics
Chris Baker (alias Fangorn). Kubrick exigea de son ami le secret absolu
("sous peine d'être excommunié de (sa) vie"), et
lui demanda d'installer une ligne de fax sécurisée afin
qu'ils puissent communiquer directement en toute confidentialité.
Jan Harlan :
"Steven apparaissait à Stanley comme le mieux placé
pour mener à bien le projet. Il n'aurait besoin que d'une vingtaine
de semaines pour réaliser le film, alors que Stanley prendrait
une année enti&rgrave;re, durant laquelle son jeune interprète
risquait de changer physiquement. Mais Stanley appréciait surtout
les dons de Steven, qu'il considérait comme l'un des plus grands
cinéastes de la nouvelle génération. Les deux hommes
différaient certes par leurs personnalités, mais ils avaient
un dénominateur commun : leur immense talent. Fort de l'étroite
collaboration qu'ils avaient nouée sur le projet A.I., Steven était
bel et bein le seul réalisateur à disposer de l'autorité
morale nécessaire pour mener à terme l'entreprise à
sa façon."
Les lois très strictes qui régissent le travail des enfants
auraient probablement empêché Kubrick de réaliser
A.I. comme il l'entendait. En outre, la technologie des effets spéciaux
n'avait pas encore atteint le niveau de sophistication nécessaire
à une production aussi vaste et complexe.
Tout changea en 1993, avec les révolutionnaires effets visuels
de JURASSIC PARK...
Vivement impressionné par le bond en avant que constitue ce film-charnière,
Kubrick bombarda ses collègues de questions sur les images de synthèse,
leurs applications et leur potentiel. L'un de ses interlocuteurs d'alors
fut Dennis Muren, créateur des effets visuels de JURASSIC PARK
et lauréat de l'Oscar pour E.T., TERMINATOR 2 et L'EMPIRE CONTRE-ATTAQUE.
Dennis Muren :
"En 1993, après JURASSIC PARK, Stanley m'invita en Angleterre
pour discuter d'un projet qui deviendrait ultèrieurement A.I. Il
m'avait fréquemment appelé pour discuter de questions techniques,
mais cette fois, il avait quelque chose de précis à me montrer.
Ce furent cinq heures inoubliables autour d'un mémorable repas
de Thanksgiving."
Fasciné par les premiers résultats de cette technologie
émergente, Kubrick n'en choisit pas moins de différer A.I.
pour réaliser EYES WIDE SHUT, un projet qui remontait au milieu
des années cinquante. Ce serait son dernier film.
Après la mort de Stanley Kubrick, Jan Harlan et la veuve du cinéaste,
Christiane, proposèrent à Terry Semel, alors directeur de
Warner Bros., de relancer A.I., sous la direction de Spielberg.
Jan Harlan :
"Le projet serait resté dans les cartons si Steven ne l'avait
pas repris."
L'ÉCRITURE
- L'ÉQUIPE
Bien
qu'il n'eut pas rédiger de scénario depuis RENCONTRES DU
TROISIÈME TYPE, Spielberg décida d'écrire lui-même
A.I.
Kathleen Kennedy
:
"Sitôt que Steven m'a raconté l'histoire, il m'est apparu
évident que nul autre que lui ne devait, ni ne pouvait, l'écrire.
Steven comprenait tous les enjeux du film, il savait ce qu'il avait représenté
pour Stanley, et ce que le public en attendait. Je ne pense pas qu'il
aurait pu s'asseoir face à un scénariste et lui demander
d'interpréter ce qu'il avait si clairement en tête."
Steven Spielberg
:
"Ce fut pourtant aussi douloureux que de me faire arracher à
nouveau toutes mes dents de sagesse ! J'avais l'impression que le fantôme
de Stanley m'observait et me lançait périodiquement : "Non,
non, pas comme ça !" J'ai dû me dégager de som
emprise pour ne pas être seulement l'interprète de Stanley
et pouvoir investir mes propres expériences dans ce scénario.
Je ne m'en suis pas moins conduit en archéologue face au monument
qu'il nous avait légué, et je me suis attaché à
le recréer fragment après fragment."
Jan Harlan avait rassemblé des volumes entiers liés au projet,
notamment les dessins futuristes de Chris Baker qui définissaient
le look de l'univers de A.I.
Chris Baker :
"Après plusieurs lectures du traitement d'A.I., j'avais pu
laisser libre cours à mon imagination. Stanley n'envisageait encore
rien de bien concret à ce stade. J'étais là pour
lui fournir des idées visuelles propres à stimuler sa créativité.
Après nos premières rencontres, tout s'est passé
par fax et au téléphone. Une collaboration dont je n'ai
eu qu'agrave; me féliciter."
Ces illustrations qui détermineraient le look de Rouge City, de
la Flesh Fair et de la résidence des Swinton, s'élaborèrent
ainsi au fil des ans, et Spielberg s'appuya à son tour sur la vision
de Baker lorsqu'il reprit en main le film.
Après la mort de Kubrick, Steven Spielberg focalisa toute son attention
sur A.I., écrivit le scénario en seulement deux mois et
se prépara à un tournage mémorable, en compagnie
de plusieurs de ses fidèles et talentueux collaborateurs.
Les productrices Kathleen Kennedy et Bonnie Curtis, qui n'avaient jamais
travaillé ensemble en dépit de leur longue familiarité
avec Spielberg, assemblèrent une équipe de haut niveau,
capable de mener à bien un tournage d'une rare complexité,
d'assurer une multitude d'effets spéciaux indédits et de
respecter un plan de travail serré le tout dans la plus
stricte confidentialité.
Le chef monteur Michael Kahn, le compositeur John Williams, les concepteurs
d'effets spéciaux Stan Winston et Michael Lantieri ainsi que le
directeur de la photographie Janusz Kaminski ont tous remporté
l'Oscar sur des films de Spielberg. Le chef décorateur Rick Carter
a notamment créé les décors de JURASSIC PARK et AMISTAD,
le chef costumier Bob Ringwood a collaboré à EMPIRE DU SOLEIL,
le superviseur senior des effets visuels d'ILM Dennis Muren, travaille
régulièrement avec Spielberg depuis RENCONTRES DU TROISIÈME
TYPE.
Les progrès réalisés en matière de "décors
virtuels" permettraient de créer les environnements urbains
sur une série de fonds bleus, les dernières innovations
robotiques donneraient vie à un étonnant nounours parlant.
Restait le plus délicat...
LE CASTING
Bonnie
Curtis :
"Cette étrange entreprise repose finalement sur les épaules
d'un acteur de douze ans. C'est l'interprétation de Haley Joel
Osment qui a rendu tout cela possible, et qui nous a donné à
voir la transformation complète d'un personnage. Quelle maîtrise
pour un si jeune comédien !"
Haley Joel Osment s'est imposé avec SIXIÈME SENS, phénomènal
succès de M. Night Shyamalan, qui lui a valu une nomination bien
méritée à l'Oscar. Son personnage d'A.I. n'est pas
moins remarquable, symbole d'une "machine sensible" aspirant
à un statut humain et à l'amour d'une mère.
Haley Joel Osment
:
"J'ai demandé à Steven à quel point David devait
se comporter en robot. Nous avons décidé que sa conduite
s'humaniserait et deviendrait de moins en moins mécanique au fil
de ses expériences, de ses progrès et de ses découvertes.
La plupart des caractéristiques physiques de David s'estompent
ainsi graduellement, mais les nuances les plus discrètes demeurent
jusqu'au bout."
Le père d'Haley, Eugene Osment, qui est également acteur,
l'accompagna quotidiennement sur le plateau pour l'aider dans sa préparation
et lui présenter les problèmes techniques du jour.
Kathleen Kennedy
:
"Je pense que Haley est l'enfant acteur le plus extraordinaire que
nous avons vu depuis longtemps. J'hésite à le qualifier
d'enfant car son professionnalisme en remontrerait à bien des adultes.
Il est tout simplement prodigieux."
Jude Law (cité récemment à l'Oscar pour le rôle
du playboy Dickie Greenleaf dans LE TALENTUEUX MR. RIPLEY) interprète
le "robot d'amour" Gigolo Joe, personnage "méca"
qui n'exigea pas seulement un maquillage très élaboré,
mais une longue préparation technique : gestuelle, danse, chant,
mime.
Jude Law :
"Joe doit pouvoir se transformer en un clin d'il pour adopter
l'apparence physique et la personnalité qu'en attendent ses clientes.
Certaines ne lui demandent qu'un réconfort moral, d'autres espèrent
des gratifications physiques. Toutes veulent êtres charmées
et séduites par lui."
L'actrice australienne Frances O'Connor et l'Américain Sam Robards
(AMERICAN BEAUTY) furent choisis pour interpréter Monica et Henry
Swinton, et Jake Thomas engagé pour le rôle de leur jeune
fils, Martin. Le vétéran Brendan Gleeson (LE GÉNÉRAL)
incarne le chasseur de robots Lord Johnson-Johnson, et William Hurt le
Professeur Hobby. La voix du super-nounours Teddy, protecteur et compagnon
de David, appartient au doubleur et annonceur Jack Angel.
LES EFFETS SPÉCIAUX
Chacun
des 68 jours de tournage d'A.I. présenta de nouveaux défis
techniques et artisitiques : maquillages, effets spéciaux mécaniques,
décors virtuels, interactions entre humains et machines... Le fait
que Steven Spielberg était à l'origine du scénario
simplifia fort heureusement la tâche de l'équipe.
Kathleen Kennedy
:
"Steven nous fut d'une aide très précieuse. Il passa
chaque jour quatre à six heures avec la déco pour travailler
sur les story-boards et les modèles réduits. C'est lui qui
devait, en un sens, tout dessiner et inventer sur ce film avant de le
communiquer aux départements concernés."
Spielberg commença par réunir ses principaux chefs de services,
parmi lesquels les superviseurs des effets spéciaux Dennis Muren
et Scott Farrar d'ILM, et le chef décorateur Rick Carter, afin
d'étudier en détail avec eux les dessins futuristes originaux
de Chris Baker et leur traduction à l'écran.
Dennis Muren :
"Steven m'a montré plus de mille croquis sur lesquels Stanley
avait travaillé depuis la naissance du projet. Il tenait à
matérialiser fidèlement la vision futuriste de Stanley,
et s'y sentait d'autant plus tenu qu'il l'estimait totalement fondée.
Leurs sensibilités visuelles se rejoignant, ce fut un merveilleux
mariage artistique."
ILM fabriqua durant cette période plus de cent modèles réduits
et une quantité comparable de modèles virtuels pour donner
vie aux mondes d'A.I. Baker vint s'établir temporairement aux Etats-Unis
et passa plusieurs semaines dans les ateliers d'ILM pour aider à
la transposition de ses dessins conceptuels.
Pour plus de commodité, le chef décorateur Rick Carter fractionna
le film en trois grandes sections, correspondant aux articulations majeurs
du récit.
Rick Carter :
"A.I. se calque sur le parcours et les expériences de son
jeune héros. Il débute comme un drame familial, embraie
sur un road-movie mêlant images réelles et virtuelles et
s'achève dans un monde quasiment numérique. Mais tout cela
relève bien sûr d'un seul et même voyage initiatique."
Parallèlement à la construction des décors en dur,
Stan Winston, Dennis Muren, Scott Farrar, leurs collègues d'ILM
et le responsable des effets spéciaux Michael Lantieri travaillaient
avec Spielberg à la création de l'univers robotique d'A.I.
Winston et Lantieri avaient déjà collaboré de la
sorte à un autre film charnière : JURASSIC PARK, mariant
de façon inédite et spectaculaire effets mécaniques
et infographiques.
Stan Winston :
"A.I. est sans doute le projet le plus confidentiel de toute ma carrière.
Au départ, je ne possédais moi-même qu'un minimum
d'éléments sur l'intrigue, mais il m'a suffi de savoir que
Steven souhaitait ma participation pour que je réponde présent."
Michael Lantieri
:
"Il est une chose que je trouve particulièrement gratifiante
avec Steven : aucun effort n'est vain, tout notre travail se retrouve
à l'écran. Il n'y a pas un seul effet spécial d'A.I.
qui ne soit novateur, et il faut vraiment quelqu'un de la trempe de Steven
pour assumer de tels risques."
L'une des premières tâches qui attendait cette brillante
équipe fut la création de l'ourson en peluche Teddy, le
super-jouet qui guide et protège David au long de sa périlleuse
quête.
Personnage-clé, Teddy est une créature mixte, complexe,
associant les talents de dizaines de marionnettistes et infographistes.
Il ne pouvait évoluer que dans des décors spécialement
éclairés et aménagés pour dissimuler ses manipulateurs.
En cas d'impossibilité physique (notamment dans les plans où
la petite créature court et saute), la division informatique d'ILM
prenais le relais et substituait à l'ourson une doublure à
l'identique.
Stan Winston :
"Compte tenu de son importance dans l'histoire, de son temps de présence
à l'écran, de la qualité d'interprétation
requise et des délais impartis, Teddy s'est révélé
l'une de nos créations les plus ardues. Nous tenions à ce
qu'il fonctionne au mieux sur le plateau de manière à alléger
au maximum le travail des infographistes."
Teddy se compose en réalité d'un groupe de "Teddies"
dont la "vedette", utilisée en gros plan et conçue
comme partenaire à part entière des comédiens, héberge
pas moins de 50 servomécanismes dont la moitié se situe
dans la tête, assurant à son visage une étonnante
mobilité.
Bonnie Curtis
:
"Teddy n'est pas seulement un personnage animatronique. C'est une
créature sophistiquée qui réagit de façon
très humaine. C'est le jouet suprême, d'une loyauté
sans faille, qui accompagne son jeune maître tout au long de ses
périgrinations, dispensant conseils avisés, sarcasmes et
fines plaisanteries."
Ce nounours high-tech demandait de ses partenaires humains un certain
effort d'adaptation.
Frances O'Connor
:
"Habituée à jouer dans des drames costumés,
je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait ici. Teddy se comportait
comme un être vivant. C'était carrément surréaliste,
et d'autant plus délicat de lui donner la réplique qu'il
était constamment accompagné d'une équipe de marionnettistes
cachée sous la table, derrière le lit ou dans un recoin
du décor !"
Les studios de Stan Winston fabriquèrent six versions de Teddy,
dont certaines dédiées à des fonctions spécifiques,
comme d'être portées ou hissées en l'air. Il y avait
aussi un "Teddy cascadeur", un "Teddy furtif" et plusieurs
demi-Teddies au visage figé dans une expression unique : sourire,
inquiétude, etc.
Haley Joel Osment dut porter dans plusieurs scènes cet ourson bourré
d'électronique, pesant plus de 15 kilos.
Haley Joel Osment
:
"C'était vraiment un super-jouet, capable de faire toutes
sortes de choses : se blottir dans vos bras, remuer le nez et les oreilles,
voire se saisir d'un objet. J'ai très vite oublié qu'il
n'était pas réel."
Devant fournir une réplique informatique parfaitement indétectable
de Teddy, l'équipe d'ILM avait créé sur ordinateur
un modèle immaculé. Or le "vrai" Teddy trahit
au fil de ses aventures des signes croissantes d'usure, qu'il fallut intégrer
progressivement à sa doublure infographique. Un processus que détaille
le superviseur des effets visuels Scott Farrar.
Scott Farrar :
"L'un de mes superviseurs infographiques, Barry Armour, assurait
la conformité rigoureuse des deux oursons. Un autre, Tom Martinek,
contrôlait les éclirages et le rendu. Le plus difficile était
d'harmoniser les pelages. Le singe géant de MON AMI JOE ne possédait
"que" 700 000 poils, longs d'une trentaine de centimètres.
Ce minuscule nounours en avait pour sa part 1,5 million, composés
chacun de huit courts segments. Soit 12 millions de manipulations... et
un sacré casse-tête !"
Teddy n'est qu'un des multiples robots à habiter l'univers d'A.I.
Dans cette vision futuriste, les machines intelligentes ont en effet investi
notre quotidien, et n'y ont pas seulement une fonction utilitaire, mais
afective.
La création de ces formes associa étroitement plusieurs
départements techniques. Certains de ces robots sont joués
par des humains plus ou moins maquillés (notamment Haley Joel Osment
et Jude Law), d'autres par des infirmes, équipés de prothèses
spéciales. Certains, enfin, sont entièrement mécaniques.
Un fréquent recours aux fonds bleus permit de masquer certaines
parties de ces robots et d'y incruster des créations infographiques
dotées d'un puissant impact.
Dennis Muren :
"L'association intime de formes réelles et d'images de synthèse
produit parfois de vrais chocs visuels. Derrière ce qui semble
au premier abord un visage parfait, un vide béant se dévoile
soudain : tournant la tête, la créature exhibe ses rouages
internes, et c'est un peu comme si vous assistiez à l'autopsie
d'un robot et découvriez sous ses chairs synthétiques tout
un amas de fils, de circuits et de mécanismes. L'effet est pour
le moins dérangeant."
De nombreux robots sont astreints à des fonctions précises.
On compte dans leurs rangs des jardiniers, des gouvernantes, des terrassiers,
des majordomes, des soudeurs, des vigiles... Armés d'un kit de
survie, ils sont censés assurer leur propre maintenance et trouver
dans des décharges les pièces de rechange ou les membres
qui leur font défaut.
La chef maquilleuse Ve Neill collabora avec Stan Winston au grimage de
ces robots "endommagés", que jouent des infirmes munis
de prothèses spéciales.
Ve Neill :
"J'entretiens les meilleurs rapports avec Stan. Nous avons fait plusieurs
films ensemble, dont chacun fut un réel bonheur. Stan s'est entouré
des meilleurs collaborateurs techniques, ce qui facilite énormément
mon travail. Les scènes de masse d'A.I. mobilisaient en effet jusqu'à
trente maquilleurs, uvrant simultanément à la préparation
et aux retouches finales, qui représentaient parfois trois heures
d'efforts."
Spielberg, Winston et Ve Neill souhaitaient des maquillages sensiblement
plus discrets pour Gigolo Joe et David.
Ve Neill :
"Nous avons fait plusieurs essais sur le visage de Gigolo Joe, dont
certains avec un maquillage prosthétique complet. Mais cela occultait
la gentillesse naturelle de Jude, que Steven tenait à retrouver
dans ce rôle. Nous nous sommes finalement contentés d'altérer
le profil de sa machoire à l'aide d'une simple prothèse
et avons employé un maquillage plastique assez souple pour ne pas
risquer de se fendre ni de fondre sous les projecteurs."
DÉCORS ET
COSTUMES
Les
décors des trois "actes" d'A.I. présentaient divers
degrés de difficulté. Le premier tiers du film se déroule
dans la maison circulaire, sobrement futuriste, des Swinton. La partie
centrale décrit l'odyssée de David à travers la forêt,
sa rencontre avec Gigolo Joe, leurs périgrinations jusqu'au féroce
carnaval de la Flesh Fair et à la rutilante Rouge City. Le dernier
tiers, qui fait largement appel au numérique, évoque un
monde subaquatique et une nouvelle ère glaciaire le pays
des rêves où se conclut le périple de l'enfant-robot.
Rouge City fut pour
Rick Carter et son équipe l'un des ensembles les plus complexes
à dessiner et à construire. Certains des bâtiments
furent réalisés grandeur nature, d'autres créés
en image de synthèse. Le décor principal fut conçu
pour dissimuler l'engin de levage de l'"amphibicoptère"
à bord duquel s'enfuit David.
Rick Carter :
"Nous étions
prêts à dépenser un million de dollars sur Rouge City.
Mais il nous sembla que cet argent serait mieux employé à
créer une cité numérique. Il nous a suffi de rhabiller
le décor d'une scène sur l'autre et de faire bon usage des
créations infographique d'ILM pour obtenir une spectaculaire série
de paysages urbains."
Ces décors virtuels constituaient un environnement numérique
de grande ampleur, dont chaque composante était "appelée"
à l'aide d'un programme informatique spécial pour être
déployée autour des comédiens.
Edifié sur un vaste plateau par Carter et son adjoint Jim Teegarden,
Rouge City intègre nombre de dessins extravagants et érotiques
de Chris Baker. Un il aiguisé peut y découvrir quelques
références malicieuses aux films de Kubrick, dont un milk-bar
qui rappelle la séquence d'ouverture d'ORANGE MÉCANIQUE.
On y trouve aussi un étrange bureau d'information, tenu par l'omniscient
Dr. Know, sorte de cousin holographique et blagueur d'Albert Einstein.
Les séquences nocturnes de la Gondole (une machine volante affectée
à la chasse aux robots) et de la Flesh Fair furent tournées
dans l'immense Spruce Goose Dome (200 mètres de diamètre
et 30 mètres de haut), un site idéal pour ces épisodes
violents et mouvementés.
Michael Lantieri
:
"La Gondole, qui pesait près de dix tonnes, était suspendue
à une grue de 300 tonnes. Elle devait héberger plusieurs
interprètes et survoler des robots-cascadeurs censés être
hissés dans les airs à l'aide d'aimants et de filets. Le
dispositif, extrêmement dangereux à manuvrer, demanda
un maximum de précautions."
Les "jeux du cirque" de la Flesh Faitr durant lesquels les robots
infirmes sont torturés et mis en pièces, demandèrent
aussi des précautions particulières. Lantieri dut trouver
le moyen de lacérer, brûler et démantibuler ces malheureuses
machines sans mettre en danger l'équipe et les 800 figurants surexcités
recrutés pour l'occasion.
Le groupe "métal" Ministry rythme cette scène
d'hystérie collective de ses pulsions hypnotiques.
Bonnie Curtis
:
"C'est une suggestion de mon assistant, Lee Clay. Inspirateurs de
musiciens comme Limp Bizkit ou Orgy, ils étaient ravis de se montrer
dans cet épisode, et ont été parfaits à tout
point de vue."
Pionnier de la musique "goth", Ministry a une image très
affirmée et un faible pour le cuir noir.
Bob Ringwood (Chef
costumier) :
"J'ai fait quelques recherches sur le groupe et j'ai trouver judicieux
d'exploiter leur propre look, en allant encore un peu plus loin dans le
macabre. C'est ainsi que j'ai choisi pour le guitariste un costume orné
d'un squelette, à la vue duquel il faillit s'évanouir de
bonheur !"
Ringwood se concerta avec Stan Winston pour créer le look des "Biker
Hounds", ces féroces motards casqués que Lord Johnson-Johnson
emploie pour capturer les robots errants.
Les costumes des protagonistes exigèrent une approche plus subtile.
David se présente ainsi cher les Swinton dans une ensemble de jogging
blanc cassé de coupe ample.
Stan Winston :
"Steven le voyait originellement plus "robotique", mais
nous nous sommes graduellement éloignés de conception pour
aller vers des tenues plus quotidiennes, plus réalistes. Nous avons
aussi donner à Monica des vêtements confortables aux teintes
neutres, puis une peu plus colorées à mesure qu'elle retrouve
son optimisme et sa joie de vivre. En fin de compte, ce sont les vêtements
de Gigolo Joe et ceux des habitants de Rouge City qui nous auront posé
le plus de problèmes."
Gigolo Joe demandait un assortiment de tenues élégantes
lui permettant d'improviser de temps à autre quelques pas à
la façon d'une danseur mondain des années trente.
Bob Ringwood :
"Steven me demanda d'étudier certains personnages romantiques
du cinéma d'antan, dont Dracula. Nous voulions un héros
sexy, distingué, romantique... et futuriste. C'est par un heureux
hasard que j'ai découvert ce tissu satiné, très souple,
produisant des reflets métalliques, qui fait à Joe un bel
habit de soirée et se complète d'une élégante
chemise en plastique. Au final, Gigolo Joe est une héros romantique
Victorien mâtiné d'Elvis Presley futuriste..."
La séquence finale se passe en deux temps dans un Manhattan submergé,
puis envahi par les glaces. La production utilisa chaque jour jusqu'à
8 tonnes de glace pour réaliser cet effet... et quelques "trucs"
dont le directeur de la photo garde jalousement le secret.
Janusz Kaminski
:
"A.I. enchaîne trois looks distincts. Le premier acte se déroule
dans une ambiance stérile, quasi clinique. Le deuxième est
une aventure mouvementée, le trosième fait appel à
des émotions fortes et des ingrédients dramatiques extrêmement
originaux. J'ai essayé de suivre le scénario au plus près,
d'en analyser le sens pour le traduire en termes visuels. Rick Carter
a fait de même. Ses décors sont si beaux, si parlants, que
Steven et moi y trouvions immédiatement notre inspiration. Steven
fonctionne à l'instinct. Moi aussi. Et nous travaillions tous deux
à un rythme très rapide."
Kathleen Kennedy
:
"Tournant à un train d'enfer, Steven recquiert toute l'attention
de ses collaborateurs durant la préproduction, de manière
à ce que tout soit en place au moment des prises de vues. Il sait
très exactement ce qu'il veut."
Mais on n'aurait pas pu boucler en 68 jours un film de l'ampleur d'A.I.
sans le concours d'acteurs de haut niveau, capables des mêmes performances.
Bonnie Curtis
:
"Jude Law est un des comédiens les plus méticuleux
et les mieux préparés que je connaisse. Frances O'Connor
était diligente, totalement présente et concentrée
face à la caméra. D'une photogénie parfaite, elle
incarne la mère idéale dont rêve chaque enfant. Quant
à Sam Robards, c'est un merveilleux acteur qui a investi toute
sa sensibilité dans le rôle du père."
La chorégraphe Francesca Jaynes travailla pendant trois mois avec
Jude Law pour peaufiner son style de danse.
Jude Law :
"Au début, c'était d'avantage dans la veine de Fred
Astaire, mais par la suite, on s'est rapproché de Gene Kelly. L'important
était que Joe évolue avec grâce et élégance
pour attirer le regard de ses clientes. C'est un rôle dont il s'acquitte
avec zèle. Heureusement qu'il rencontre David et qu'il apprend
à se détacher un peu de lui-même pour s'intéresser
enfin à quelqu'un d'autre."
La présence tutélaire de Stanley Kubrick fut sensible chaque
jour, ainsi que le souci constant de Steven Spielberg d'être fidèle
à sa vision artistique.
Bonnie Curtis
:
"Steven a réellement cherché à faire de Stanley
son guide durant le tournage. Il répétait fréquemment
sur le plateau : "Stanley aurait aimé cela" ou encore
"Je le sens, je le sens avec nous". Car la présence de
Stanley était aussi forte que désirée."
Kathleen Kennedy
:
"Steven prend son public à bras le corps parce qu'il le respecte.
Ses films sont des contes de fées adultes, intelligents, dénués
de toute condescendance. C'est un merveilleux conteur qui extrait la quintessence
d'une d'une histoire et la porte à l'écran avec tout le
respect l'enthousiasme et l'énergie dont il est capable. Il a la
chance que ses idées, ses préoccupations rencontrent celles
des spectateurs, que ses histoires répondent à leurs attentes.
Stanley Kubrick possédait, à l'évidence, d'immenses
qualités artistiques, qui se marient fort bien à celles
de Steven. Stanley souhaitait faire accomplir à David un voyage
de l'esprit vers le cur, chez Steven, tout part du cur pour
aboutir à l'intellect. Pouvait-on espérer plus belle rencontre
?"
A.I. est un legs de Stanley Kubrick . Il s'inscrit clairement dans son
univers et sa problématique. Mais c'est, au final, un film qui
appartient aussi, totalement à Steven Spielberg, parce qu'il l'a
écrit, réalisé et voulu dans son cur et son
esprit comme un ultime hommage. C'est ce mélange qui m'étonne
et me fascine. Je m'attendais à ce que A.I. soit un film de Kubrick
OU un film de Spielberg, mais il réussit ce prodige d'être
les deux à la fois.
KATHLEEN KENNEDY
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